Reflets

 

Regardez les reflets

Je suis un reflet et j’aime qu’on me remarque. Pourtant, les temps sont durs, plus personne ne regarde. Sur l’eau, je me fatigue à donner du style, du relief à tout ce qui se mire. Mais on regarde les bateaux et non pas leur reflet. Que dire des berges dont les arbres et bâtisses habillent la surface de l’eau lisse ?

Lorsque le vent se lève, les vaguelettes sculptent les images, les déforment jusqu’à en mélanger gracieusement les couleurs. Alors, les lacs, les rivières deviennent l’exposition de mon art et mes toiles sont toujours différentes et bizarres.

Pourquoi ne dit-on jamais, « regarde le beau reflet » ? J’entends plutôt « Regarde le beau bateau » ou encore « là, un poisson a sauté ! » Et mon travail alors ? Les ondes, ces cercles concentriques me permettent d’œuvrer encore différemment. C’est tout de même difficile, de suivre le fil de l’eau et de réagir au moindre soubresaut.

J’ai failli tout arrêter. Fini l’effet de loupe d’un caillou sous la mer, terminée la réverbération du gilet jaune d’un enfant sur une barque. Et les voiles des bateaux se noyant sur le bleu, l’émeraude ou le gris de la mer, ces mâts tordus qui s’allongent à l’infini, semblant chercher à sonder les grands fonds ou à rentrer au port. Tout cela aurait pu disparaître.

Je dis : « J’ai failli arrêter », car j’ai croisé Marie-Claire. Ce sont plutôt nos regards qui se sont rencontrés. J’ai cru d’abord à une vision, et puis, non, elle me regardait bien, moi.

Elle avait un chevalet et peignait au bord de l’eau. Discrètement, je me suis approché. Par-dessus son épaule, je me suis penché et j’ai vu, ô miracle, ce à quoi je ne croyais plus.

L’artiste est aussi douée que moi. Elle produit à la perfection l’image de mes images.

Je suis enfin reconnu, je suis enfin heureux. De plus belle, j’œuvre sur les eaux pour Marie-Claire et pour tous ceux qui ont compris, en regardant son art, la magie dont chaque jour la nature nous fait don.

Elisabeth Reininger-Brissy ( ERB )